La lutte antidopage dans le sport continue
Dr Aikin, un grand merci de prendre le temps de vous entretenir avec nous.
Afin que nos lecteurs puissent mieux cerner le sujet que nous allons aborder aujourd’hui, puis-je vous demander de vous présenter rapidement et de rappeler votre mission au sein de l’Agence mondiale antidopage (AMA) ? Et peut-être pourriez-vous expliquer brièvement ce qu’est l’AMA ?
L’Agence mondiale antidopage (AMA) est une organisation internationale indépendante créée en 1999 pour promouvoir, coordonner et assurer un suivi de la lutte antidopage dans le sport sous toutes ses formes.
L’Agence est composée et financée à parts égales par les fédérations sportives et les gouvernements du monde entier.
Notre mission est de conduire un mouvement de collaboration sans frontières en faveur d’un sport sans dopage. Nos principales activités consistent à développer des réglementations, les mettre en application et assurer le suivi de leur respect, notamment par des contrôles. Au cœur de notre travail : le Programme mondial antidopage, qui englobe le Code mondial antidopage ainsi que les normes et les directives internationales s’y rapportant. Ce dispositif complet assure une certaine harmonisation et l’application des meilleures pratiques.
L’AMA joue également un rôle essentiel dans la promotion de la recherche scientifique, l'éducation et le renforcement des capacités auprès des athlètes et des acteurs de la lutte antidopage. En particulier, notre Comité Santé, médecine et recherche supervise, entre autres sujets, l’accréditation des laboratoires antidopage, la recherche scientifique, la liste des interdictions, les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques et le passeport biologique de l’athlète (PBA). En ce qui concerne le PBA, notre équipe gère à la fois sa mise en place et son utilisation par les organisations antidopage (OAD), ainsi que son développement comme outil antidopage.
Ainsi, mon quotidien consiste par exemple à interagir avec différentes OAD du monde entier pour adapter leur programme de PBA ou pour régler diverses questions, à faire le lien avec nos différents groupes d’experts qui encadrent chaque aspect du développement du PBA, à communiquer avec nos laboratoires accrédités AMA sur les progrès en matière d’analyses ou encore à faire le point avec notre service de contrôle. En tant que scientifique, j’ai la chance de pouvoir collaborer avec différents groupes de recherche pour conduire des projets ciblés afin de répondre aux besoins spécifiques du PBA.
Les enjeux de la lutte antidopage ne sont pas forcément connus du grand public, d’où cette question générale : comment l’AMA assure-t-elle le suivi des athlètes ?
Il est important de clarifier une chose : l’AMA n’effectue pas directement de contrôles de routine sur les athlètes.
On demande aux athlètes d’entrer leur localisation dans le Système d’administration et de gestion antidopage (ADAMS). Cependant, la responsabilité du contrôle et du suivi des athlètes (y compris de leur PBA et de leur localisation) incombe à un réseau mondial d’OAD, qu’il s’agisse d’organisations antidopage nationales, de fédérations internationales ou d’organisateurs de grands événements sportifs. Ce sont ces OAD qui sont en charge de mettre en œuvre un programme de contrôle dédié auprès des athlètes sous leur juridiction. Les résultats de ces contrôles sont ensuite saisis dans le PBA. En qualité d’organisme de régulation mondial, l’AMA assure le suivi des OAD, c’est-à-dire vérifie que leurs programmes de contrôle sont conformes au Code de l’AMA et aux normes internationales s’y rapportant.
Il est également important de souligner que le système antidopage mondial ne consiste pas uniquement à tester les athlètes. Comme je vous le disais, le PBA est un outil précieux pour évaluer le profil à long terme de chaque athlète. Un grand nombre d’échantillons sont stockés sur la durée pour permettre de réitérer les analyses et nous continuons de recevoir des informations par le biais de notre programme pour les lanceurs d’alerte, qui peut conduire à des contrôles ciblés ou à l’ouverture d’enquêtes.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le passeport biologique de l’athlète et pourquoi il est important ?
Le PBA est un outil de suivi de certains biomarqueurs sur le long terme. Ces biomarqueurs peuvent mettre en lumière les effets d’un dopage.
Ce processus implique une analyse statistique automatisée des échantillons fournis par l’athlète une fois les résultats rapportés par le laboratoire d’analyses, puis une évaluation par un expert des profils suspects à partir d’une approche médico-légale d’examen des preuves.
L’un des points forts de ce passeport est qu’il permet de calculer des limites personnalisées pour chaque individu, ce qui améliore la sensibilité et la spécificité par rapport aux limites de décision calculées à partir d’une population. Le PBA comprend actuellement deux modules : le module hématologique, qui suit les variables sanguines à partir d’échantillons de sang EDTA afin de dépister un éventuel dopage sanguin, et le module stéroïdien, qui suit des marqueurs stéroïdiens précis à partir d’échantillons d’urine afin de détecter un éventuel dopage stéroïdien.
Le PBA peut être directement utilisé pour sanctionner un athlète. Mais il oriente également d’autres décisions de lutte antidopage, comme la collecte d’échantillons complémentaires, une nouvelle analyse des échantillons déjà prélevés par une autre méthode, l’ouverture d’une enquête sur un athlète ou un groupe d’athlètes ou encore la conservation à long terme d’un échantillon donné pour nouvelle analyse ultérieure.
Quels sont les paramètres utilisés dans la lutte antidopage et quel est le rôle joué par le module hématologique ?
Le module hématologique du PBA utilise 12 marqueurs provenant d’une Numération Formule Sanguine standard et deux scores à variables multiples calculés à partir de deux de ces marqueurs ou plus.
Les marqueurs clés utilisés pour détecter un éventuel dopage sont l’HGB, le %RET et le « OFF-score », qui intègre les deux. Parmi les signes classiques d’un dopage sanguin, on retrouve l’augmentation du %RET par le recours à des agents stimulant l’érythropoïèse (ASE), suivie d’une augmentation des concentrations d’HGB et d’une diminution du %RET en réponse aux taux d’HGB artificiellement élevés. Le PBA peut également détecter les prélèvements sanguins en vue d’une transfusion ultérieure, ce qui se traduit par un taux d’HGB diminué et des valeurs de %RET et d’IRF augmentées. Cette approche a montré son efficacité dans la mise en évidence de transfusions sanguines systématiques chez des athlètes russes et dans la récente enquête ADERLASS. Bien entendu, ces signes ne peuvent être observés que si l’athlète est contrôlé au bon moment, c’est pourquoi la planification des tests est essentielle à l’efficacité du PBA.
Outre la compréhension de la réponse des différents marqueurs au dopage, il est important que le groupe d’experts en charge d’examiner les passeports comprenne un hématologue capable d’évaluer la probabilité qu’une variation constatée sur un passeport soit en fait due à un problème médical. Pour examiner un passeport, il est également essentiel de comprendre les facteurs préanalytiques et analytiques impactant les résultats, en particulier lorsque les échantillons ont parcouru une grande distance avant d’arriver au laboratoire d’analyses. Un hématologue expert doit également être présent pendant les auditions afin d’évaluer la plausibilité des explications fournies par les athlètes.
Que peut-on attendre de ces paramètres ? Où les échantillons sont-ils analysés ?
La preuve d’un dopage peut être fournie par l’évaluation médico-légale de la probabilité d’attribution d’une variation des biomarqueurs à un dopage par rapport à la probabilité d’attribution de cette variation à d’autres causes (p. ex. médicale, analytique ou préanalytique). Cette approche nécessite une compréhension fine des causes de variation des biomarqueurs considérés, une connaissance approfondie des éventuels facteurs de confusion et une analyse de laboratoire harmonisée.
Par conséquent, les échantillons utilisés pour le PBA ne peuvent être analysés que dans l’un des plus de 30 laboratoires accrédités AMA dans le monde, qui utilisent tous le même analyseur (Sysmex XN). Le choix de l’analyseur a été basé en grande partie sur le fait qu’une réduction de la variance analytique a un impact positif sur la sensibilité du PBA, les analyseurs Sysmex ayant démontré la plus faible variance analytique concernant la valeur de %RET.
Quelles sont les attentes à l'égard des laboratoires qui coopèrent avec l'AMA?
Un athlète de niveau international voyage beaucoup. Ainsi, ses échantillons peuvent être analysés par des laboratoires accrédités par l’AMA situés dans différents pays. Il est donc impératif de s’assurer que les résultats obtenus sont comparables d’un laboratoire à l’autre. En plus d’utiliser une même technologie d’analyse, les laboratoires doivent satisfaire à des exigences spécifiques en termes de performances des méthodes, notamment des contrôles de qualité internes et de la précision de l’analyse des échantillons. En outre, ils doivent avoir recours à un système rigoureux de contrôle de qualité externe. En effet, l’objectif est de protéger l’athlète qui ne se dope pas. Il est donc capital de tout faire pour garantir une procédure d’analyse équitable et efficace.
Merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré.